Durimel : Frères d’une île pas très proche

Jalan & Jibril. Deux frères. Une caméra. Une vision. L’image comme remède à l’exil intérieure. Ils définissent les frontières entre photographie, cinéma et identité diasporique. Leur œuvre, à la fois intime et universelle, s'inscrit dans une quête perpétuelle de sens et de représentation.

Des jumeaux sans territoire

Jalan and Jibril Durimel

« Nous sommes en quelque sorte de la poésie incarnée, alors j’espère que nous ne nous perdrons pas dans l’histoire que nous sommes sur le point d’écrire. »
— Jibril Durimel

Jalan et Jibril Durimel sont nés à Paris en 1993 de parents guadeloupéens, mais n’ont jamais vraiment eu de port d’attache. Guadeloupe, Miami, Saint-Martin, Los Angeles, puis retour à Paris en 2020 : une enfance morcelée, à la fois fluide et déracinée. Leur travail visuel explore ce mélange des mondes, entre élégance brute et beauté simple, comme un théâtre du métissage contemporain.

Ce qu’ils en tirent ? Une mémoire du mouvement. Une recherche de soi dans les silences entre les pays. “Je ne me suis jamais senti complètement caribéen, ni floridien, ni même parisien”, confesse Jalan. Leur identité, c’est l’entre-deux. Ce no man’s land émotionnel devient leur langage visuel.

Et ce langage, ils le traduisent dans des images à la théâtralité mélodramatique assumée. Des portraits qui semblent sortir d’un plan-séquence, figés dans l’ambivalence entre la vulnérabilité et la beauté brute.

Quand la mode devient récit

À leurs débuts, les jumeaux bricolaient un blog mode “un peu cheesy”, selon leurs propres mots. Rapidement, ils coupent leur propre image du cadre pour capter celle des autres. Street-casting sauvage, lumière naturelle, compositions picturales. La mode, chez eux, est prétexte à raconter des vies.

De leur première campagne pour American Apparel, ils passent à Kenzo, Chloé, Hermès, Louis Vuitton et Grace Wales Bonner, avec qui ils développent une esthétique mi-rêvée mi-documentaire. En 2020, Vogue et i-D Magazine leur ouvrent les pages. Connor McKnight les appelle en 2024 pour sa collection AW et Pop Magazine leur offre sa couverture en mars 2025.

Durimel, Pop Magazine, 2025

« Ce que nous voulons, c’est que nos photos mettent de la couleur dans la vie de quelqu’un. »
— Jibril Durimel

Durimel, Wales Bonner X Adidas 2023

En 2023, ils ont réalisé la campagne Adidas x Wales Bonner, mêlant esthétique sportive et élégance afro-caribéenne. Côté musique, ils ont travaillé avec Sampha sur le projet "Shy Light", explorant la vulnérabilité et la spiritualité à travers des visuels épurés.​

Durimel, Sampha, 2023

Mais ils refusent désormais les projets “vides de sens”. La mode, oui — mais seulement si elle laisse place au souffle narratif.

Le cinéma, sans paroles

Formés au cinéma à Los Angeles, leur style emprunte aux codes du drame émotionnel. Leurs influences ? Les blockbusters mélodramatiques comme Titanic, les images limpides de Dr. Seuss, la logique claire d’Einstein (“si tu ne peux pas l’expliquer à un enfant, c’est que tu ne le comprends pas toi-même”).

En vidéo, leur langage devient sensoriel. Leur clip "Bet" pour Mereba évoque l'homosexualité taboue dans les Caraïbes à travers des images où les poings deviennent paillettes, les coups deviennent feux d’artifice. Ils tournent aussi pour Sampha, dans un registre feutré, introspectif.

Leur manière de filmer : lente, texturée, jamais illustrative. Chaque séquence cherche à rendre visible ce qui d’habitude reste tu.

Musée, enfin

En 2024, la Philharmonie de Paris leur consacre une exposition : "Durimel Publish Archive Imagery", un geste muséal fort qui les inscrit dans une lignée de mémoire visuelle diasporique. Ils y réinterprètent les archives par la photographie, les projections et l’installation. Une exposition pensée comme un film en suspens, un récit non linéaire où l’identité s’écrit à la lumière des corps et des sons.

Autres expositions :

« Nous voulons vous faire découvrir notre culture de manière non agressive, en passant par l’alchimie de la grâce. Que peut faire la grâce à quelqu’un ? Et comment peut-elle transformer le regard que l’on porte sur les personnes noires ? »
— Jibril Durimel

Leur travail a aussi été montré au Underground Museum de Los Angeles, dans des contextes mêlant musique, art et activisme visuel. Le duo aspire désormais à intégrer plus profondément les institutions artistiques : ils parlent d’images "construites comme un long-métrage", d’expositions comme "lente fabrication de sens".

Autres lieux repérés :
– Red Hook Labs, Brooklyn, où ils exposent dans des formats mixtes (photo, film, print)
– Paris Photo, (2022), dans la section émergente
– CLM Gallery, Londres, où leur série Figures of Elsewhere
(2023)

Vers l’inconnu, toujours

“Notre confort, c’est l’incertitude.” Ils sculptent une pratique nouvelle, entre film et photo. Des images comme des dialogues. Des récits silencieux, mais intimes. Durimel, c’est aujourd’hui — et c’est déjà demain.


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L'auteur

Bienvenue ! Mannequin voyageuse, je dévoile mon carnet d'adresses autour du globe, illustré par mes plus beaux clichés. Foodista aguerrie, retrouvez ma sélection de tables gourmandes et mes plus beaux shootings photos autour du monde. 

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