Art Vidéo vs Cinéma : Ni film, ni expo, mais les deux
Les écrans se multiplient, les récits explosent : une nouvelle génération de cinéastes efface les frontières entre salle obscure et white cube. Art vidéo ou cinéma ? Peu importe. Ce qui compte, c’est l’explosion des formes.
Nam June Paik, “Electronic Superhighway”, 1995 ©Smithsonian Institution
L'art vidéo ne s'est pas contenté d'imploser les galeries : dès 1974, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne bouscule les codes avec la première expo française dédiée. À partir de là, le médium a redéfini les formats et transformé l’image en mouvement.
Le fondateur de l’Art Vidéo
Nam June Paik (1932-2006), né à Séoul, est considéré comme le fondateur de l'art vidéo.
L'art vidéo comme un acte politique
L’art vidéo, loin de se contenter de suivre les règles du cinéma, les réinvente. Arthur Jafa, Björk et Khalil Joseph effacent délibérément les frontières entre galerie et cinéma, créant des œuvres intenses qui défient la norme et redéfinissent l’engagement politique à travers l’image.
Arthur Jafa
"Love is the Message, the Message is Death" d'Arthur Jafa est une vidéo de sept minutes qui frappe comme un coup de poing. Fusionnant images d'archives et clips contemporains, elle capture la résilience et la beauté de l'expérience afro-américaine. Portée par des musiques gospel et jazz, l'œuvre transforme l'espace en une immersion visuelle et sonore intense, une méditation poignante sur l'histoire, la culture et la mémoire collective.
Kahlil Joseph
Kahlil Joseph ne se contente pas de filmer, il crée des mondes. Après des clips pour Beyoncé et Kendrick Lamar, il redéfinit le langage visuel avec une intensité mystique. Ses installations, entre vidéo, musique et politique, bouleversent les codes.
Avec Double Conscience (2017), il dissèque l’Amérique noire sur deux écrans. BLKNWS (2015) transforme le journal télévisé en flux d’images afro-diasporiques. Wildcats (2016) mêle performance et archives dans un rêve fiévreux.
The Shadow Play (2018), sa première expo solo au New Museum, explore mémoire et culture noire. Fly Paper (2017) reprend Harlem à travers l’œil de Roy DeCarava et s’installe à Londres dans Strange Days: Memories of the Future. Black Mary (2017) est montré à la Tate dans Soul of a Nation.
Son BLKNWS fait le tour du monde : Biennale de Venise, Sundance, et Reverb: Sound into Art à Londres. En 2020, il participe à Made in L.A. avec BLKNWS au Hammer Museum.
Bjork
"Nature Manifesto" de Björk, présentée au Centre Pompidou en 2024, plonge au cœur de la crise écologique avec des visuels hypnotiques et une bande-son envoûtante. Fusionnant nature, technologie et activisme, l'artiste bouscule les codes pour réinventer notre lien avec l'environnement, faisant de l’urgence planétaire une expérience visuelle et sonore inoubliable.
Split Screen : Ces réalisateurs qui naviguent entre deux mondes
Là où le cinéma suit des codes, l’art vidéo les explose. Steve McQueen, avec Queen and Country" (2007), Sunshine State (2022) et Bass (2024), brouille les frontières entre cinéma et galerie.
Mati Diop, avec son film Dahomey (2024), projeté au Museo Reina Sofía et au MoMA, floute également les lignes entre le documentaire et l'art vidéo. Agnes Varda, pionnière de l'art vidéo, a présenté Visages, Villages (2017) en installation au Centre Pompidou.
Enfin, Isaac Julien, avec sa dernière œuvre "Statue Never Die" (2024), exposée au Tate Britain, continue de redéfinir les frontières entre cinéma et art vidéo.
Ces réalisateurs prouvent que l’art vidéo n'est pas une sous-catégorie du cinéma, mais qu'il le redéfinit.
La Relève
La scène contemporaine réinvente l'art vidéo avec des artistes comme Vincent Houzé, Baloji, Tourmaline et Jenn Nkiru. Entre film et expo, ils imposent de nouveaux langages visuels. Houzé avec “Structure Fluide” et ses simulations interactives, Baloji avec “Augurism” qui fusionne traditions africaines et influences européennes, Tourmaline avec “Pollinator” qui réinvente la mémoire queer.
“Structure Fluide” (2017) de Vincent Huzé est une installation immersive où formes et flux réagissent aux mouvements du public. Portée par une simulation fluide en temps réel, l’œuvre capte, transforme, efface. Le corps laisse une trace, aussitôt absorbée. Rien ne fige, tout glisse.
Jenn Nkiru, Rebirth Is Necessary, London (2019)
« Les artistes de l’image en mouvement sont marginalisés dans l’industrie cinématographique, tout en restant minoritaires sur le marché de l’art. »
Pollinator (2022) de Tourmaline fusionne passé et présent, explorant l’histoire queer à travers des décors et costumes du début du XXe siècle. Un manifeste visuel qui réinvente la mémoire et l’identité trans, présenté au Mudam Luxembourg et au Whitney Museum.
L’artiste vidéaste et son public
Mais alors, qu’en est-il du spectateur ? L’art vidéo invite à une introspection personnelle et politique. Loin du cinéma, il bouscule les conventions. Dans un monde où les formats explosent, la question n’est pas de franchir des frontières, mais de les réinventer sans normaliser cette vitalité.