Dahomey de Mati Diop : Et si le vrai scandale n’était pas la restitution, mais ce qu’elle révèle ?

Mati Diop photographiée par Lucas Charrier

Mati Diop n’a pas fait un film. Elle a déclenché un séisme. Dahomey n’est pas juste une œuvre sur la restitution de 26 trésors pillés par la France et renvoyés au Bénin en 2021. C’est un film qui expose, avec une précision chirurgicale, l’inconfort d’une nation face à son propre reflet. La colonisation culturelle, ses fantômes, ses silences. Un malaise étouffé qui suinte dans chaque plan.

Mati Diop a remporté l'Ours d'Or au Festival de Berlin 2019 pour son premier long-métrage de fiction, Atlantique, puis le Grand Prix au Festival de Berlin 2024 pour Dahomey. Pourtant, malgré ces distinctions, elle n'a jamais fait la une des magazines en France. Dahomey, un film documentaire bien plus qu'un simple projet cinématographique, porte la voix d'une femme, d'une réalisatrice, d'une artiste noire qui, à l'image d'un Baldwin ou d'une Angela Davis, refuse la marginalité à laquelle le cinéma français confine encore trop souvent les voix issues de l'immigration. Mati Diop s'impose ainsi comme une figure incontournable du cinéma contemporain, et son film, par son existence même, force une conversation que la France a trop longtemps évitée.

« Ce n’est pas seulement une question d’objets. C’est une question d’histoire, de transmission et de justice.  »
— Mati Diop

Un film qui trouble le regard français

Le film s’ouvre sur une nuit parisienne, des bibelots Eiffel en plastique vendus aux touristes, un bateau-mouche qui glisse sur la Seine. L’illusion du prestige, la carte postale que la France aime tant projeter. Mais très vite, Diop brise le vernis : les caméras de surveillance du Quai Branly, les couloirs fantomatiques où les œuvres africaines ont été stockées pendant plus d’un siècle comme des prisonniers sans visage. C’est un film qui dérange, qui met le spectateur en position d’observateur d’un crime qu’il n’a jamais appris dans ses manuels d’histoire.

« Je ne fais pas des films pour rassurer. Je fais des films pour interroger.  »
— Mati Diop

Dans Dahomey, les œuvres ne sont pas seulement des artefacts. Elles parlent. Littéralement. Une statue prend la parole dans une séquence presque mystique, racontant son exil forcé, sa nuit sans fin dans les réserves d’un musée étranger. Une approche audacieuse, qui brouille la frontière entre documentaire et récit spectral, entre le réel et l’invisible. Mati Diop convoque une mémoire occultée, elle donne une voix aux silences.

La restitution, présentée comme un acte de bonne foi par le gouvernement français, est ici remise en question. Diop filme les discours des politiques avec une distance glaciale, mais elle capte surtout les regards, les silences et les doutes des jeunes générations béninoises. Les étudiants qui se demandent si ces restitutions ne sont qu’une mise en scène, un « coup de théâtre » de Macron. Est-ce le début d’un processus ou juste un geste symbolique destiné à apaiser les consciences ?

« Ce que la France appelle “restitution”, nous, nous l’appelons réparation. »
— Mati Diop

Mati Diop, une cinéaste qui redessine l’histoire du cinéma

En 2019, Mati Diop est devenue la première femme noire sélectionnée en compétition officielle au Festival de Cannes avec Atlantique, un film déjà hanté par l’histoire coloniale et les absents. Quatre ans plus tard, elle rafle l’Ours d’or à la Berlinale avec Dahomey. Deux films, deux chocs, et un fil conducteur : raconter l’Afrique, la diaspora, et les récits que l’Occident refuse d’affronter.

« Faire du cinéma, pour moi, c’est reprendre possession de notre propre narration.  »
— Mati Diop

Née et élevée à Paris, Mati Diop, d’origine sénégalaise, n’a jamais cessé de naviguer entre plusieurs héritages. Ni complètement dans le giron du cinéma français, ni réduite à une étiquette de réalisatrice africaine. Son cinéma est hybride, libre, indomptable. Elle cite James Baldwin et Frantz Fanon comme influences, autant que Claire Denis, avec qui elle a joué dans 35 Rhums.

« Quand tu es une femme noire dans le cinéma, tu es soit invisible, soit exotisée. J’ai refusé les deux.  »
— Mati Diop

Alors, que fait-elle en 2025 ? Dahomey a ouvert des portes. Aujourd’hui, elle travaille sur un projet encore plus radical : un film de science-fiction où l’Afrique n’est plus un continent à qui l’on prend, mais une terre qui imagine et réinvente le futur. Un cinéma de l’afrofuturisme, ancré dans la réappropriation.

« Il ne s’agit pas seulement de raconter le passé, mais d’inventer d’autres futurs possibles.  »
— Mati Diop

Et ce n’est qu’un début. Mati Diop n’est pas juste une réalisatrice. Elle est un mouvement. Une faille dans le système. Une voix que l’on ne pourra plus ignorer.

« Je veux que mon cinéma soit une réponse aux absences. À ce qui a été effacé. »
— Mati Diop

Filmographie de Mati Diop

Réalisatrice

  • 2005 : Last Night (court métrage)

  • 2009 : Atlantiques (court métrage)

  • 2011 : Snow Canon (court métrage)

  • 2012 : Big in Vietnam (court métrage)

  • 2013 : Mille soleils (moyen métrage)

  • 2015 : Liberian Boy (court métrage)

  • 2019 : Atlantique (long métrage)

  • 2020 : In My Room (court métrage)

  • 2024 : Dahomey (long métrage)

Actrice

  • 2008 : 35 Rhums – rôle de Jo

  • 2012 : Simon Killer – rôle de Victoria

  • 2014 : Fort Buchanan – rôle de Justine

  • 2016 : Hermia & Helena – rôle de Carmen

  • 2022 : Avec amour et acharnement – rôle de Victoire


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L'auteur

Bienvenue ! Mannequin voyageuse, je dévoile mon carnet d'adresses autour du globe, illustré par mes plus beaux clichés. Foodista aguerrie, retrouvez ma sélection de tables gourmandes et mes plus beaux shootings photos autour du monde. 

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