Je suis un mannequin noir, et voici ce que mes cheveux endurent

En france, la mode célèbre enfin le cheveu texturé, mais l’audace manque. Boucles sages, afros maîtrisés—où sont les coiffures sculpturales, les coupes brutes, la vision artistique ? Diversité ne rime pas avec uniformité. Quand les coiffeurs ne savent pas travailler les cheveux naturels, tout le monde en pâtit.

Pourquoi la mode échoue à soutenir les mannequins noirs aux cheveux texturés ?

Les défilés et les campagnes de mode deviennent de plus en plus inclusives, accueillant davantage de mannequins noirs sur les podiums (même si d’autres ethnies restent encore sous-représentées). Ajoutez à cela l’augmentation – bien que lente – du nombre de maquilleurs et coiffeurs issus des minorités, garantissant enfin des teintes de fond de teint adaptées et des coiffures respectant chaque texture de cheveux. On pourrait croire que la diversité progresse réellement dans l’industrie mais une inégalité persiste : celle entre les coiffures des mannequins noirs et blancs.

Les cheveux afro sont incroyablement polyvalents. Ils peuvent être sculptés, amplifiés, stylisés de mille façons. Mais au lieu de les célébrer, les choix capillaires des marques semblent chercher à les contenir. Pourquoi ne pas accorder la même liberté aux cheveux texturés ?

« À Paris, que ce soit sur les podiums ou dans les magazines, il est frustrant de n’avoir que deux options de coiffure, quand les mannequins blanches en ont une infinité. »
— Gilone

Vingt ans dans l’arène. “Tout vu, tout vécue.”

La question de la longueur est aussi un enjeu racialisé. J’ai commencé le mannequinat en 2002 en Guadeloupe. En 2007, j’ai signé avec une Major (Women Models) à Milan. En 2010, j’ai fait un choix radical : raser mes cheveux à la “garçonne”. Audacieux. Risqué, à l’époque.

À cette période, voir une mannequin métisse avec les cheveux très courts relevait de l’anomalie. L’industrie avait ses règles tacites : si tes cheveux n’étaient pas lissés, rallongés ou dissimulés sous une perruque, ils devaient au moins correspondre à un idéal acceptable—des boucles sages, rebondies, méditerranéennes. Tout ce qui dépassait ce cadre ? Impensable.

J’ai travaillé pour Louis Vuitton, Hermès, Chanel, Prada, Gucci, Victoria Beckham, Gaultier, L’Oréal… La liste est longue. Photographiée pour Vogue, ELLE, Harper’s Bazaar, Marie Claire, Dazed, Another Magazine, L’Officiel … —Plus de cent défilés au compteur— je peux le dire : j’ai tout vu en vingt ans.

En janvier 2024, j’ai décidé de laisser repousser mes cheveux pour élargir mes opportunités de casting, investir le marché de la beauté et du commercial. Mais ce que j’ai retrouvé ? Un air de déjà-vu.

Les cheveux texturés sont toujours traités avec la même paresse, le même manque d’imagination : plaqués en chignon bas rigide, lissés à outrance, tressés toujours pareil, ou brossés en mini-afro basique. Pourquoi l’industrie est-elle encore à ce point en faillite créative quand il s’agit des cheveux texturés?

J’ai donc filmé ma transition capillaire, non pas pour capturer un simple changement de look, mais pour soulever une question cruciale : pourquoi la diversité capillaire avance-t-elle si lentement par rapport à la diversité raciale dans notre industrie ? Où sont les coiffeurs formés pour sublimer nos cheveux dans des coiffures plus créatives, comme ceux qui travaillent les textures de cheveux européens.

C’est avant tout un problème de vision artistique et surtout de formation : bien trop souvent, nos cheveux sont perçus « difficiles » à coiffer, mais la vérité, c’est qu’ils n’ont simplement pas été enseignés à les maîtriser et surtout — à les valoriser.

Qui décide des coiffures des mannequins ?

Avant chaque défilé et shooting photo, le créateur collabore avec son équipe créative et son équipe technique (les chefs maquilleurs et coiffeurs) pour s’assurer que tout corresponde à sa vision artistique. Il ne s’agit donc pas de pointer du doigt une seule personne, mais on ne peut ignorer que les coiffures lisses et sophistiquées bénéficient souvent de plus d’efforts et de créativité que celles destinées aux cheveux texturés, qui semblent souvent reléguées au second plan.

« J’aimerais aussi voir plus d’équipes avoir des connaissances sur les cheveux naturels. Parfois, on voit une fille avec un afro ou des cheveux bouclés, tandis que d’autres filles, avec un autre type de cheveux, bénéficient de coiffures sophistiquées. Mais comme le coiffeur ne sait pas travailler les cheveux afros, il les laisse simplement tels quels. Cela donne l’impression de dire : “On ne sait pas quoi faire avec ces cheveux, alors on va les laisser comme ça.” »
— Jade Williams, Model, interview pour Huffpost

Certes, certaines collections adoptent un style minimaliste ou structuré qui peut influencer les choix capillaires, mais cela ne justifie pas la perpétuation de quelques coiffures par défaut. Une femme noire qui achète ces vêtements n’aura peut-être pas envie de les porter avec des canerows. Pourquoi ne pas proposer des twists, des chignons texturés, un twist-out, des vanilles, des coiffures nattées, ou l’une des innombrables possibilités qu’offre le cheveu afro ? D’autant plus que les mannequins blancs ont, eux, droit à des ondulations naturelles et faussement décoiffées pour accompagner leurs costumes. Pourquoi ne pas accorder la même liberté aux cheveux texturés ?

Et puis, il y a aussi cette hiérarchie implicite entre les types de boucles. Celles aux textures les plus lâches peuvent parfois bénéficier du « look déstructuré », tandis que les textures plus serrées sont systématiquement réduites à des coiffures compactes ou plaquées.

Un traitement inégal en coulisses

Avant chaque défilé, les journalistes beauté se regroupent autour du coiffeur en chef pour écouter ses explications sur le look du jour. Il y a toujours une inspiration précise, qu’elle vienne d’une icône féminine ou d’une époque révolue, et une mise en œuvre méticuleuse nécessitant plusieurs étapes, produits et outils.

Bien sûr, toutes les coiffures ne peuvent pas être adaptées à toutes les textures de cheveux. Mais pourquoi certains mannequins bénéficient-ils de mises en plis complexes et d’accessoires travaillés, tandis que d’autres doivent se contenter d’une coupe minimaliste ?

A chaque fois que l’on demande « Et pour les filles aux cheveux afro ? », la réponse enthousiaste est toujours la même : « On travaille avec leur texture naturelle, pas contre ». Puis viennent des termes pseudo-innovants comme « micro-afros » ou « boucles finement rétrécies ». Le vocabulaire est absent, le manque de connaissance est visible. Le malaise est palpable.

J’ai vu des mannequins arriver aux répétitions avec de magnifiques chevelures, détachées, attachées en chignons hauts, avec des Bantu Knots (choux) ou en queues de cheval subtilement mises en forme. Une fois passées entre les mains des coiffeurs, tout cela disparaît, plaqué en chignons tirés, tressé en canerows uniformes ou rétréci en mini-afros sages qui prennent le moins d’espace possible.

Certes, de nombreuses mannequins noires ont les cheveux courts. Mais pour celles qui ont des cheveux plus longs, pourquoi faut-il toujours les dompter ?

La diversité, une façade ?

« J’ai l’impression que la diversité est en train d’être monnayée », confie Londone Myers, mannequin et égérie du parfum Lady Million Empire de Paco Rabanne. « L’industrie aime les filles aux mini afros, en chignon et aux tresses simples, mais on dirait qu’on ne doit rien porter d’autre. C’est comme une caricature. Imaginez si Naomi Campbell n’avait porté que des afros tout au long de sa carrière, au lieu d’incarner mille visages différents. Il faut montrer toutes les facettes des femmes noires, pas juste une seule. »

Quand on débute, on doit presque toutes avoir les cheveux courts », poursuit Myers. « Imaginez si les mannequins blanches devaient toutes se raser la tête. Elles, elles peuvent avoir des cheveux longs ornés de perles et de plumes, tandis que nous, on nous impose l’afro court ou les tresses.

Pourquoi ne pas s’inspirer des icônes des années 70 comme Donna Summer et Diana Ross, avec leurs chevelures XXL défiant la gravité ? Je ne dis pas que les femmes noires doivent obligatoirement avoir les cheveux longs, mais pourquoi les minimiser systématiquement ? ».

Un standard toujours centré sur l’Occident

Beaucoup de nos notions de « présentabilité » viennent d’un standard eurocentré. Et cela se ressent à la Fashion Week. Pourquoi les cheveux afro doivent-ils être contenus et disciplinés ? Pourquoi les chignons flous et les mèches décoiffées sont-ils plébiscités… mais uniquement sur les textures lisses ?

La mode prétend accepter la diversité, mais selon ses propres termes. Si l’on veut une réelle représentation, il faut traiter tous les cheveux avec le même soin et la même créativité. Il est temps de faire des recherches, d’intégrer de véritables experts des cheveux afro dans les équipes, et d’arrêter de réduire la diversité capillaire à une poignée de looks standardisés.


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L'auteur

Bienvenue ! Mannequin voyageuse, je dévoile mon carnet d'adresses autour du globe, illustré par mes plus beaux clichés. Foodista aguerrie, retrouvez ma sélection de tables gourmandes et mes plus beaux shootings photos autour du monde. 

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